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Giurisprudenza
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European Court of Human Rights
Requête no 20477/05 |
Tillack c. Belgique - 27-11-2007
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE TILLACK c. BELGIQUE
(Requête no 20477/05)
ARRÊT
STRASBOURG
27 novembre 2007
DÉFINITIF
27/02/2008
En l'affaire Tillack c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième
section), siégeant en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,
Mme F. Tulkens,
MM. R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6
novembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une
requête (no 20477/05) dirigée contre le Royaume de
Belgique et dont un ressortissant allemand, M. Hans Martin
Tillack (« le requérant »), a saisi la
Cour le 30 mai 2005 en vertu de l'article 34 de la
Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des
Libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. Le requérant a été représenté par
Me I. Forrester et Me T. Bosly, avocats à
Bruxelles. Le gouvernement belge (« le
Gouvernement ») a été représenté par son
agent, M. D. Flore, conseiller général au Service
public fédéral de la justice. Informé de son droit
de prendre part à la procédure (articles 36 § 1
de la Convention et 44 § 1 du règlement), le
gouvernement allemand n'a pas répondu.
3. Dans sa requête, M. Tillack alléguait
en particulier que des perquisitions et saisies
opérées à son domicile et sur son lieu de travail
avaient violé l'article 10 de la Convention.
4. Le 29 août 2006, la Cour a résolu de
communiquer la requête au Gouvernement. Comme le lui
permettait l'article 29 § 3, elle a décidé que
seraient examinés en même temps la recevabilité et
le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1961 et réside
à Berlin.
6. Il est journaliste à l'hebdomadaire
allemand Stern. Du 1er août 1999 au 31
juillet 2004, il fut détaché à Bruxelles et chargé
de suivre la politique de l'Union européenne et le
fonctionnement des institutions européennes.
7. Les 27 février et 7 mars 2002, Stern
publia deux articles rédigés par le requérant et
ayant pour source des documents confidentiels de
l'Office européen pour la lutte anti-fraude (« O.L.A.F. »).
Le premier relatait les allégations d'un
fonctionnaire européen faisant état d'irrégularités
commises au sein des institutions européennes. Le
second était relatif aux enquêtes internes menées
par l'O.L.A.F. au sujet de ces allégations.
8. Au sein de l'O.L.A.F. se mit à circuler
une rumeur selon laquelle le requérant avait versé
une somme de 8 000 euros (EUR) ou deutsche marks (DEM)
à un fonctionnaire européen en échange de ces
informations.
9. Le 12 mars 2002, l'O.L.A.F.,
soupçonnant le requérant de corruption active d'un
fonctionnaire pour l'obtention d'informations
confidentielles relatives à des enquêtes en cours au
sein des institutions européennes, ouvrit une
enquête interne afin d'identifier la personne ayant
divulgué ces informations au requérant.
10. Le procès-verbal d'une réunion tenue
par le comité de surveillance de l'O.L.A.F. les 9 et
10 avril 2002 relevait notamment :
« Les membres du comité de surveillance
constatent que les écrits du journaliste ne
contiennent aucunement un ton agressif, mais donnent
des indices quant à la situation actuelle, comme il
est souvent le cas avec des personnes individuelles.
Ils s'étonnent que la question du paiement pour ces
informations est inclus dans le communiqué de presse
de l'O.L.A.F. Par conséquent, ils souhaitent être
informés de la réalité d'un tel paiement, si de
sérieux indices existent à cet effet ».
11. Par une lettre du 24 mars 2003 écrite
dans le cadre d'une enquête menée par lui après que
le requérant eut déposé une plainte (no 1840/2002/GG)
contre l'O.L.A.F., le médiateur européen indiqua que
les soupçons de corruption d'un agent de l'O.L.A.F.
qui pesaient sur le requérant étaient nés de
certaines « informations de sources crédibles,
y compris des membres du Parlement européen ».
12. Le 30 septembre 2003, l'O.L.A.F. publia
un communiqué de presse intitulé « clarifications
de l'O.L.A.F. concernant une apparente fuite d'information ».
Le communiqué précisait ce qui suit :
« Le 27 mars 2002, l'O.L.A.F. a publié un
communiqué de presse dans lequel il annonçait qu'il
avait ouvert une enquête interne en vertu du
Règlement 1073/1999 concernant une apparente fuite d'information
contenue dans un rapport rédigé au sein de l'O.L.A.F.
Il précisait que selon les informations reçues par
l'O.L.A.F., un journaliste avait reçu un nombre de
documents relatifs à l'affaire dite (...), et qu'il
n'était pas exclu qu'un paiement puisse avoir été
fait à un agent de l'O.L.A.F. (ou peut-être à un
agent d'une autre institution de l'Union européenne)
pour ces documents. L'enquête menée par l'O.L.A.F.
n'a pas encore abouti, mais à ce jour, l'O.L.A.F. n'a
pas obtenu la preuve qu'un tel paiement a été
effectué. »
13. Le 30 novembre 2003, le médiateur
européen rendit sa décision. Il avait déjà, le 18
juin 2003, communiqué un projet de recommandation à
l'O.L.A.F. La décision, qui reprenait pour l'essentiel
les conclusions du projet, relevait notamment ce qui
suit :
« (...)
1.7 (...) en publiant ce communiqué de presse, l'O.L.A.F.
n'a pas encore mis en œuvre de façon adéquate le
projet de recommandation du médiateur. Au lieu de
retirer ses allégations de corruption, l'O.L.AF. a
simplement énoncé qu'à « ce jour », il
n'avait pas obtenu de preuves suffisantes pour étayer
ses allégations. Le vocabulaire utilisé dans ce
communiqué de presse laisse donc sous-entendre que l'O.L.A.F.
considère qu'il est possible que des preuves étayant
ses allégations pourraient encore être apportées.
Dans ces circonstances, l'action prise par l'O.L.A.F.
est manifestement inadéquate pour remédier à l'acte
de mauvaise administration que le médiateur européen
avait identifié. Une remarque critique sera dès lors
faite à cet égard.
(...)
4. Conclusion
4.1 Sur la base de l'enquête menée par le médiateur
dans le cadre de cette plainte, il est nécessaire de
faire la remarque critique suivante :
En faisant des allégations de corruption sans base
factuelle qui serait suffisante et susceptible de
vérification publique, l'O.L.A.F. est allé au-delà
de ce qui est proportionnel au but poursuivi par cette
action. Ceci constitue un acte de mauvaise
administration. »
14. Le 11 février 2004, l'O.L.A.F. déposa
plainte auprès des autorités judiciaires belges et
leur transmit un rapport sur l'enquête interne menée.
Il saisit aussi les autorités judiciaires allemandes.
15. En conséquence, le 23 février 2004,
une instruction fut ouverte contre X. des chefs de
violation du secret professionnel et de corruption
active et passive d'un fonctionnaire.
16. Le 19 mars 2004, à la demande du juge
d'instruction, le domicile et le bureau du requérant
furent perquisitionnés par les autorités judiciaires
belges. La quasi-totalité des documents et
instruments de travail du requérant furent saisis et
mis sous scellés (seize caisses de documents, deux
boîtes d'archives, deux ordinateurs, quatre
téléphones portables et un meuble métallique). L'ordonnance
de perquisition n'aurait pas été remise au
requérant mais lui aurait été lue. Aucun inventaire
des pièces saisies ne fut dressé. A cette occasion,
la police judiciaire aurait laissé entendre au
requérant que la perquisition faisait suite à une
plainte déposée par l'O.L.A.F., lequel le
soupçonnait d'avoir corrompu un fonctionnaire
européen afin d'obtenir des informations
confidentielles. Selon le requérant, les autorités
auraient par la suite perdu une caisse complète de
documents, qu'ils n'auraient retrouvée que plus de
sept mois plus tard, en novembre 2004.
17. Les 29 mars et 15 avril 2004, le
requérant demanda au procureur général près la
cour d'appel de Bruxelles de l'autoriser à consulter
le dossier d'instruction, ce qui lui fut refusé par
une lettre du 17 juin 2004.
18. Le requérant réitéra sa demande le
28 juin 2004, sans succès.
19. Entre-temps, le 24 mars 2004, il avait
déposé entre les mains du juge d'instruction une
requête tendant à l'obtention de la mainlevée des
mesures de saisie.
20. Par une ordonnance du 8 avril 2004, le
juge d'instruction rejeta cette requête.
21. Le requérant, plaidant notamment la
violation de l'article 10 de la Convention,
interjeta appel.
22. La chambre des mises en accusation
confirma l'ordonnance le 22 septembre 2004 dans
les termes suivants :
« Que la question de savoir si la protection de
la confidentialité des sources d'information
utilisées par les journalistes constitue ou non un
droit inhérent à la liberté de la presse et, dans
l'affirmative, si ce droit a une valeur absolue ou
s'il comporte des restrictions, n'a pas encore reçu
de consécration légale à ce jour.
Que le texte même de l'article 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas la
protection des sources journalistiques, droit qui
s'est élaboré au fil de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, sans pour autant,
selon la doctrine, consacrer ce droit comme une valeur
absolue (voir en ce sens, la Cour européenne des
droits de l'homme, arrêt Ernst et autres c. Belgique,
15 juillet 2003, 33400/96 Bulletin d'information
sur les droits de l'homme no 60, juillet‑octobre
2003, p. 4-5) ;
Que les projets législatifs récents tendent à
reconnaître aux journalistes le droit au secret de
leurs sources d'information, sans toutefois que l'exercice
de ce droit ne mène à une immunité pénale ou
civile (voir à ce propos le projet de loi accordant
aux journalistes le droit de taire leurs sources d'information
adopté par la Chambre des représentants de Belgique
le 6 mai 2004 et l'avis du Conseil supérieur de la
Justice sur les propositions de loi visant à accorder
aux journalistes le droit au secret de leurs sources
d'information approuvé par l'assemblée générale le
4 février 2004) ;
Attendu que la mesure d'instruction querellée est,
certes, une ingérence dans les droits garantis par l'article
10 de la CEDH ; qu'elle a cependant été
régulièrement ordonnée par le juge d'instruction
compétent dans le cadre de sa saisine ;
Qu'elle poursuit des buts légitimes, dès lors qu'il
s'agit, dans le cadre des éléments du dossier
portés à la connaissance de la cour, et dans lequel
le requérant est mis en cause, comme auteur ou
coauteur dans une affaire de corruption visant la
divulgation d'informations confidentielles, de
« vérifier si la protection du secret
s'applique à une source licite ou illicite, cette
dernière devant céder le pas à une valeur
supérieure que constitue la prévention des
infractions pénales » (réquisitoire écrit de
Monsieur le Procureur général du 18 juin 2004, p.
14).
Attendu, comme le relève à juste titre le magistrat
instructeur, qu'il n'est pas admissible que le droit
de taire ses sources puisse servir à couvrir des
infractions, ce qui détournerait ce droit de sa
finalité, à savoir notamment l'information précise
et fiable du public et serait de nature à mettre en
péril la sécurité publique en créant une impunité
de fait (voir en ce sens l'arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme du 15 juillet 2003,
JLMB, 2003, p. 1524).
(...)
Attendu qu'en l'espèce, comme l'a relevé le
magistrat instructeur dans l'ordonnance entreprise,
notamment au feuillet 3, le point 2.3.1., les
nécessités de l'instruction requièrent toujours le
maintien des saisies et de la mise sous scellés
justifiées par les devoirs d'enquête en cours, qui
n'ont d'autre but manifeste que de vérifier la bonne
foi du requérant d'atteindre la manifestation de la
vérité dans le cadre des préventions à la base de
la saisine du juge d'instruction ;
Attendu que les arguments développés en conclusions
par le requérant devant la cour de céans qui ne peut
se substituer à la juridiction de fond, ne permettent
pas de lever tout doute quant à ce ;
Qu'il s'ensuit que l'appel n'est pas fondé ».
23. Le requérant se pourvut en cassation.
Invoquant notamment les articles 6, 8 et 10 de la
Convention, il faisait valoir que la liberté d'expression
comprenait la liberté de rechercher et de collecter
les informations, aspects essentiels de l'activité
journalistique. Selon le requérant, cela impliquait
la protection et le secret des sources journalistiques
ainsi que l'imposition aux autorités judiciaires de
l'interdiction de prendre des mesures ou des
décisions ayant pour objectif d'obliger un
journaliste ou un organe de presse à révéler ses
sources. Le requérant se plaignait également de ce
que, n'ayant pas eu accès au dossier d'instruction,
il n'avait pas pu prendre connaissance des indices
jugés sérieux et pertinents qui avaient justifié la
perquisition.
24. Par un arrêt du 1er décembre 2004, la
Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle jugea que l'article
10 de la Convention autorisait des limitations à la
liberté d'expression, que la perquisition et la
saisie étaient prévues par le code d'instruction
criminelle et que la chambre des mises en accusation
avait suffisamment et adéquatement motivé sa
décision. La Cour de cassation jugea par ailleurs que
la régularité d'une perquisition n'était pas
subordonnée à l'existence d'indices sérieux de
culpabilité dans le chef de la personne au domicile
ou au bureau de laquelle la perquisition était
effectuée. Il suffisait, en effet, que le juge d'instruction
dispose d'éléments permettant de penser que ces
lieux abritaient des documents ou des objets utiles à
la manifestation de la vérité concernant les
infractions visées au mandat de perquisition. Par
conséquent, la contestation soulevée par le
demandeur était étrangère au contrôle de la
régularité de l'instruction et ne ressortissait pas
aux moyens que la loi permettait de faire valoir à l'appui
du pourvoi formé en application de l'article 416,
alinéa 2, du code d'instruction criminelle et était
donc irrecevable.
25. Dans l'intervalle, les 1er et 4 juin
2004, le requérant avait déposé deux requêtes
devant le tribunal de première instance des
Communautés européennes. La première tendait l'annulation
de la plainte déposée par l'O.L.A.F. et à l'obtention
de dommages et intérêts pour l'atteinte que l'intéressé
estimait avoir été portée à sa carrière et à sa
réputation. La seconde tendait, quant à elle, à l'obtention
d'une injonction provisoire interdisant à l'O.L.A.F.
de prendre connaissance de tout document saisi lors
des perquisitions litigieuses. Par une ordonnance du
15 octobre 2004, le président du tribunal
rejeta ces demandes. Le président jugea que la
décision de l'O.L.A.F. de transmettre le rapport sur
l'enquête interne n'avait pas d'effet légal
contraignant et n'était donc pas susceptible de faire
l'objet d'une annulation. En particulier, il souligna
que les conclusions de l'O.L.A.F. contenues dans un
rapport final ne pouvaient aboutir d'une manière
automatique à l'ouverture de procédures judiciaires
ou disciplinaires, dès lors que les autorités
compétentes étaient libres de décider de la suite
à donner au rapport. Quant à la demande de mesures
provisoires formée par le requérant, il jugea qu'il
n'existait pas de lien de causalité entre les
dommages allégués et l'action de l'O.LA.F. et qu'il
n'était pas établi que l'O.L.A.F. eût agi en
violation des principes de bonne administration et de
proportionnalité.
26. Le requérant interjeta appel. Par une
ordonnance du 19 avril 2005, le président de la Cour
de justice des Communautés européennes confirma l'ordonnance.
27. Dans le cadre de ces recours, le
requérant reçut copie de la plainte de l'O.L.A.F.
mais non des autres pièces du dossier pénal. A cette
époque, il n'avait pas été inculpé en Belgique. Le
17 novembre 2006, le procureur de Hambourg
informa le conseil du requérant que l'instruction en
Allemagne avait été clôturée sans inculpation.
28. Le 12 mai 2005, le médiateur européen
rédigea un rapport spécial pour le Parlement
européen à la suite de son projet de recommandation
adressé à l'O.L.A.F. dans le cadre d'une nouvelle
plainte du requérant (2485/2004/GG). Dans cette
plainte, le requérant alléguait que l'O.L.A.F. avait
fourni, lors de l'examen de la plainte no 1840/2002/GG,
des informations incorrectes qui étaient de nature à
induire le médiateur en erreur ; il invitait ce
dernier à procéder à une nouvelle enquête.
29. Dans son rapport précité, le
médiateur indiquait que les propos allégués des
membres du Parlement européen (paragraphe 11
ci-dessus) n'avaient probablement jamais été tenus.
Il s'agissait de rumeurs véhiculées par un autre
journaliste, M. G., que le directeur général de l'O.L.A.F.
n'avait pas pris le soin de vérifier auprès des
parlementaires européens concernés.
30. Dans sa recommandation, le médiateur
concluait que l'O.L.A.F. devait reconnaître qu'il
avait fait des déclarations fausses et trompeuses
dans le cadre de ses observations au médiateur lors
de l'examen de la plainte no 1840/2002/GG.
II. LE DROIT INTERNE ET EUROPEEN PERTINENT
31. L'article 458 du code pénal belge
dispose :
« Les médecins, chirurgiens, officiers de
santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres
personnes dépositaires, par état ou par profession,
des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où
ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou
devant une commission d'enquête parlementaire) et
celui où la loi les oblige à faire connaître ces
secrets, les auront révélés, seront punis d'un
emprisonnement de huit jours à six mois et d'une
amende de cent francs à cinq cents francs. »
32. Les dispositions pertinentes du code d'instruction
criminelle (CIC) se lisent comme suit :
Article 87
« Le juge d'instruction se transportera, s'il en
est requis, et pourra même se transporter d'office
dans le domicile de l'inculpé, pour y faire la
perquisition des papiers, effets et généralement de
tous les objets qui seront jugés utiles à la
manifestation de la vérité. »
Article 88
« Le juge d'instruction pourra pareillement se
transporter dans les autres lieux où il présumerait
qu'on aurait caché les objets dont il est parlé dans
l'article précédent. »
33. L'article 8 du Règlement CE no
1073/1999 du Parlement européen et du Conseil de
l'Union européenne du 25 mai 1999 relatif aux
enquêtes effectuées par l'O.L.A.F. prévoit ce qui
suit en matière de confidentialité et protection des
données :
« 1. Les informations obtenues dans le cadre des
enquêtes externes, sous quelque forme que ce soit,
sont protégées par les dispositions relatives à ces
enquêtes.
2. Les informations communiquées ou obtenues dans le
cadre des enquêtes internes, sous quelque forme que
ce soit, sont couvertes par le secret professionnel et
bénéficient de la protection accordée par les
dispositions applicables aux institutions des
Communautés européennes.
Ces informations ne peuvent notamment être
communiquées à des personnes autres que celles qui,
au sein des institutions des Communautés européennes
ou des Etats membres sont, par leurs fonctions,
appelées à les connaître ni être utilisées à des
fins différentes de la lutte contre la fraude, contre
la corruption et contre toute autre activité
illégale.
(...) »
34. L'article 16 du même Règlement
dispose que celui-ci est obligatoire dans tous ses
éléments et directement applicable dans tout Etat
membre.
35. Le paragraphe 4 de l'article 280 du
Traité CEE dispose ce qui suit :
« Le Conseil, statuant conformément à la
procédure visée à l'article 251, arrête, après
consultation de la Cour des comptes, les mesures
nécessaires dans le domaine de la prévention de la
fraude portant atteinte aux intérêts financiers de
la Communauté et de la lutte contre la fraude en vue
d'offrir une protection effective et équivalente dans
les Etats membres. Ces mesures ne concernent ni l'application
du droit pénal national ni l'administration de la
justice dans les Etats membres. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE
10 DE LA CONVENTION
36. Le requérant allègue que les
perquisitions et saisies opérées à son domicile et
à son bureau ont violé son droit à la liberté d'expression
tel que prévu par l'article 10 de la Convention,
ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« 1. Toute personne a droit à la
liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y
avoir ingérence d'autorités publiques et sans
considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant
des devoirs et des responsabilités peut être soumis
à certaines formalités, conditions, restrictions ou
sanctions prévues par la loi, qui constituent des
mesures nécessaires, dans une société démocratique,
(...) à la défense de l'ordre et à la prévention
du crime, (...) à la protection de la réputation ou
des droits d'autrui, [ou] pour empêcher la
divulgation d'informations confidentielles
(...). »
A. Sur la recevabilité
37. La Cour constate que ce grief n'est pas
manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3
de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre
motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le
déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
38. En premier lieu, le requérant soutient
que les poursuites n'étaient nullement dirigées
contre lui. Le droit pénal serait d'interprétation
restrictive et, en l'absence d'une démonstation de la
réunion des conditions d'application de l'article
458, l'affirmation du Gouvernement selon laquelle cet
article trouve à s'appliquer en l'espèce devrait
être rejetée. En outre, le secret professionnel
consacré par l'article 8 du Règlement CE no
1073/1999 ne constituerait pas un secret professionnel
au sens de l'article 458 du code pénal : cet
article aurait vocation à protéger les intérêts
des particuliers et viserait les données à
caractère personnel venues à la connaissance d'une
personne dans l'exercice de ses fonctions. Les
professions répondant à ces critères seraient
celles qui, par la nature de leurs activités, mettent
ceux qui les exercent en situation de connaître des
faits cachés de la vie privée (professions
médicales, ministres du culte, avocats, notaires,
etc.). Les informations prétendument révélées par
l'agent de l'O.L.A.F., à les supposer couvertes par
le secret professionnel imposé par le Règlement, n'auraient
nullement visé des faits à caractère personnel
relevant de la vie privée d'un individu au sens de l'article
458 du code pénal.
39. Les fonctionnaires européens ne
seraient pas explicitement visés par l'article
458 ; il s'agirait là d'une constatation
évidente qui ressortirait de la lecture même du
texte.
40. Le Règlement, en dépit de son
applicabilité directe dans l'ordre juridique belge,
aurait été adopté sur la base de l'article 280 du
Traité CEE (paragraphe 35 ci-dessus), dont il
ressortirait que le Règlement en question ne vise pas
à définir ou redéfinir telle ou telle disposition
du code pénal belge. Cela ne ferait que confirmer le
caractère non infractionnel au regard du droit pénal
belge d'un non-respect du secret professionnel imposé
aux agents de l'O.L.A.F.
41. Aux termes de l'article 8 § 2 du
Règlement, qui consacre le secret professionnel, les
informations couvertes par ce secret « bénéficient
de la protection accordée par les dispositions
applicables aux institutions des Communautés
européennes ». Il n'y aurait donc aucune
référence aux dispositions du droit local. La
violation de l'obligation de non-divulgation à
laquelle le Statut des fonctionnaires des Communautés
européennes fait référence ou du secret
professionnel auquel sont soumis les fonctionnaires
européens en vertu du Règlement serait sanctionnée
de manière disciplinaire et non pénale.
42. Le requérant conteste tant la
légalité que la légitimité des perquisitions
litigieuses. Se basant sur l'état de la jurisprudence
à l'époque des perquisitions, il soutient d'abord
que la loi du 7 avril 2005 relative à la
protection des sources journalistiques, quoique
adoptée après la réalisation des perquisitions
litigieuses, peut être appliquée en l'espèce par
analogie. Cette loi serait la consécration légale
des principes affirmés à de nombreuses reprises par
la Cour et qui auraient déjà été d'application
dans l'ordre juridique belge. Le requérant plaide
ensuite que les perquisitions étaient illégitimes
car non tournées vers l'un quelconque des objectifs
mentionnés dans le paragraphe 2 de l'article 10, mais
uniquement vers celui de découvrir la source du
requérant, à savoir le nom de l'agent de l'O.L.A.F.
qui avait violé son secret professionnel, ou des
preuves d'une éventuelle corruption.
43. Sur le terrain de la nécessité de l'ingérence,
le requérant souligne qu'il n'a jamais fait l'objet
de la moindre inculpation, les perquisitions ayant
été pratiquées à charge d'inconnu. D'après lui,
le fait que les articles publiés contenaient des
informations confidentielles prouve tout au plus qu'un
agent de l'O.L.A.F. avait probablement communiqué des
informations confidentielles. Toutefois, ce fait ne
laisserait pas apparaître d'indices d'un quelconque
fait infractionnel dans le chef d'un tiers ou, encore
moins, dans celui du requérant. De plus, les
autorités judiciaires n'auraient procédé à aucune
vérification des éléments mentionnés dans le
rapport intérimaire de l'O.L.A.F. avant de procéder
aux perquisitions litigieuses. Une telle attitude
serait constitutive d'une légèreté fautive. Ce
rapport ne pourrait nullement être considéré comme
une plainte, mais uniquement comme une transmission d'informations
par l'O.L.A.F. aux autorités belges. La communication
de ce rapport n'aurait entraîné aucune obligation
dans le chef des autorités judiciaires, lesquelles
auraient été tenues de vérifier, sous leur entière
responsabilité, la véracité des informations
contenues et de déterminer, en toute opportunité,
les suites à y réserver. Le rapport n'aurait pas
été suffisant pour justifier, à lui seul, la
légalité et la légitimité des perquisitions.
44. Le requérant ajoute que le rapport
était rédigé en des termes hypothétiques et
était basé uniquement sur des rumeurs. Une simple
lecture du texte permettrait de constater que l'O.L.A.F.
n'avait recueilli qu'un seul témoignage, celui de M.
J.G., qui aurait confié que le requérant aurait
obtenu, moyennant la somme de 8 000 EUR ou
DEM, des informations confidentielles d'un agent de l'O.L.A.F.
qui travaillait à l'époque pour un commissaire
européen et pour le porte-parole de la Commission,
lesquels avaient fait l'objet de critiques dans les
articles publiés par le requérant. Face à l'apparent
manque d'impartialité de l'unique témoignage sur
lequel se basait le rapport de l'O.L.A.F., le juge d'instruction
aurait dû, à tout le moins, interroger M. J.G. pour
avoir confirmation de ses allégations avant d'ordonner
les perquisitions. Pour le requérant, ces
vérifications s'imposaient d'autant plus que les
perquisitions visaient non pas un individu ordinaire
mais un journaliste. Du reste, les juridictions belges
considéreraient que la condamnation d'un journaliste
pour recel ou pour complicité de violation du secret
professionnel doit être regardée comme contraire à
l'article 10.
45. Le requérant plaide en outre le
caractère démesuré des saisies effectuées. Il en
veut pour preuve que, ni lors des perquisitions ni
ultérieurement, les autorités judiciaires n'ont
été en mesure de lui remettre un inventaire des
pièces saisies, prétextant qu'établir une liste
complète aurait été trop lourd. De surcroît, les
autorités auraient perdu une caisse de documents, que
la police n'aurait retrouvée que plus de sept mois
plus tard, en novembre 2004.
46. Le requérant soutient enfin que
collaborer avec le juge d'instruction et fournir les
documents dévoilant éventuellement l'identité de sa
source aurait été contraire à ses obligations de
journaliste, telles qu'elles découleraient de la
Déclaration des devoirs et droits des journalistes,
adoptée à Munich le 25 novembre 1971 par
la Fédération internationale des journalistes, du
Code des principes du journalisme adopté par l'association
belge des éditeurs de journaux, la Fédération
nationale des hebdomadaires d'information et l'association
générale des journalistes professionnels de Belgique,
ainsi que de la Résolution sur les libertés
journalistiques et les droits de l'homme, adoptée en
décembre 1994 par la quatrième conférence
ministérielle européenne sur la politique de
communication de masse.
b) Le Gouvernement
47. Se référant aux dispositions
pertinentes du code d'instruction criminelle et aux
conclusions de la Cour dans l'arrêt Ernst et autres c. Belgique
(no 33400/96, 15 juillet 2003), le Gouvernement
considère que c'est en vain que le requérant
conteste la base légale de l'ingérence. En ce qui
concerne l'allégation de l'intéressé selon laquelle
la violation du secret professionnel par un
fonctionnaire européen ne constitue pas une
infraction en droit belge, le Gouvernement rappelle
que l'article 458 du code pénal soumet au secret
professionnel « toutes (...) personnes
dépositaires, par état ou par profession, des
secrets qu'on leur confie ». Les fonctionnaires
européens, dont les agents de l'O.L.A.F. feraien
partie, seraient dépositaires, par profession, des
secrets qui leur seraient confiés ; l'article
458 du code pénal s'y appliquerait donc expressément.
De plus, et surtout, l'article 8 du Règlement CE
1073/1999, directement applicable dans les Etats
membres, imposerait aux agents de l'O.L.A.F. un secret
professionnel. Or l'important dans la présente
affaire serait le fait qu'une obligation de respecter
le secret professionnel pèse sur les agents de l'O.L.A.F.
Quant à l'allégation formulée initialement par le
requérant et selon laquelle les perquisitions
litigieuses étaient illégales au motif que la
corruption active et passive ne pouvait justifier ni
perquisition ni saisie, le Gouvernement prend acte de
l'affirmation subséquente de l'intéressé selon
laquelle « la corruption constitue un crime qui,
d'un point de vue théorique et dans certaines
conditions définies par la loi, peut justifier, en
droit belge, des perquisitions ».
48. Le Gouvernement estime par ailleurs que
le caractère légitime de l'ingérence se trouve
établi : les mesures litigieuses auraient visé
à empêcher la divulgation d'informations
confidentielles, à défendre l'ordre public et à
prévenir les infractions. Les perquisitions et
saisies ayant eu lieu dans le cadre de l'instruction
menée par les autorités judiciaires, leur but
légitime ne pourrait être contesté.
49. Quant à la nécessité de l'ingérence,
le Gouvernement attire l'attention de la Cour sur un
élément qui distingue fondamentalement, selon lui,
la présente affaire des autres affaires dont la Cour
a eu à connaître concernant la protection des
sources journalistiques, à savoir le comportement du
requérant. En l'espèce, les perquisitions et saisies
auraient été destinées non seulement à découvrir
l'identité de la personne n'ayant pas respecté le
secret professionnel auquel elle était assujettie,
mais aussi à rechercher des preuves indiquant que le
requérant était l'auteur ou le co-auteur d'une
corruption passive et active. La protection des
sources ne pourrait servir à couvrir des infractions
commises par des journalistes et à créer une
immunité pénale en faveur de ceux-ci. Dans l'arrêt
Fressoz et Roire c. France ([GC], no
29183/95, 21 janvier 1999, CEDH 1999-I, §§ 52
et 55), la Cour aurait elle-même souligné que
la presse ne doit pas franchir certaines limites et
doit respecter les lois pénales et l'éthique
professionnelle.
50. Selon le Gouvernement, le respect des
lois pénales et la lutte contre la corruption
constituent un « intérêt public prépondérant »
devant lequel la protection des sources doit céder le
pas. En l'espèce, les articles publiés par le
magazine Stern sous la plume du requérant auraient
contenu des informations confidentielles basées sur
des documents confidentiels émanant de l'O.L.A.F. Le
juge d'instruction aurait possédé des informations
précises et sérieuses laissant présumer que le
requérant avait corrompu un fonctionnaire afin d'obtenir
des informations complémentaires. Cette présomption
aurait été d'autant plus légitime que les
informations en question provenaient de l'O.L.A.F., un
office européen engagé précisément dans la lutte
contre la corruption et dont la réputation ne serait
plus à faire.
51. L'O.L.A.F. aurait pris soin de
diligenter une enquête interne préalablement au
dépôt de plainte. Le juge d'instruction aurait dès
lors été fondé à estimer que les faits dénoncés
par l'O.L.A.F. n'étaient pas que des allégations
formulées et divulguées à la légère. Les mesures
litigieuses n'auraient donc pas eu pour but « d'aller
à la pêche » de crimes et délits non encore
connus, mais auraient visé à faire émerger la
vérité quant aux agissements présumés du
requérant. Les juridictions internes auraient par
ailleurs approuvé le choix du juge d'instruction. La
Cour de cassation aurait fait remarquer que pour
évaluer la régularité d'une perquisition « il
suffit en effet que le juge d'instruction dispose d'éléments
permettant de penser que ces lieux abritent des
documents ou objets utiles à la manifestation de la
vérité quant aux infractions visées par le mandat
de perquisition ». La conclusion qui s'imposerait
serait qu'au moment des faits des indices pertinents
justifiaient les mesures litigieuses.
52. Enfin, le Gouvernement considère que
les mesures litigieuses ont respecté le principe de
proportionnalité. Il plaide que les juridictions
nationales sont mieux à même que la Cour d'apprécier
la proportionnalité de pareilles mesures et qu'il est
extrêmement délicat de se prononcer sur une telle
question, entièrement dominée par les circonstances
de fait de chaque affaire. Il en conclut que le
contrôle de la Cour ne peut être que marginal. Il
estime en outre que le fait que la perquisition ait
duré huit heures ne peut prêter à critique,
car exiger des autorités qu'elles fassent un tri sur
les lieux dans un court laps de temps serait
manifestement déraisonnable. Il précise que la mise
sous scellés d'un meuble sur place faisait suite au
refus du requérant de remettre la clé permettant
l'ouverture de ce meuble. Les autorités auraient
même proposé au requérant de leur indiquer les
documents dont il avait besoin en priorité afin de
pouvoir procéder à leur examen en premier lieu.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
53. La liberté d'expression constitue l'un
des fondements essentiels d'une société
démocratique et les garanties à accorder à la
presse revêtent une importance particulière. La
protection des sources journalistiques est l'une des
pierres angulaires de la liberté de la presse. L'absence
d'une telle protection pourrait dissuader les sources
journalistiques d'aider la presse à informer le
public sur des questions d'intérêt général. En
conséquence, la presse pourrait être moins à même
de jouer son rôle indispensable de « chien de
garde », et son aptitude à fournir des
informations précises et fiables pourrait s'en
trouver amoindrie. Eu égard à l'importance que
revêt la protection des sources journalistiques pour
la liberté de la presse dans une société
démocratique, pareille mesure ne saurait se concilier
avec l'article 10 de la Convention que si elle se
justifie par un impératif prépondérant d'intérêt
public (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars
1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II,
p. 500, § 39 ; Roemen et Schmit c. Luxembourg,
no 51772/99, § 57, CEDH 2003-IV ; Ernst et
autres c. Belgique, no 33400/96, 15
juillet 2003).
54. La presse joue un rôle essentiel dans
une société démocratique ; si elle ne doit pas
franchir certaines limites, tenant notamment à la
protection de la réputation et aux droits d'autrui
ainsi qu'à la nécessité d'empêcher la divulgation
d'informations confidentielles, il lui incombe
néanmoins de communiquer, dans le respect de ses
devoirs et de ses responsabilités, des informations
et idées sur toutes les questions d'intérêt
général (De Haes et Gijsels c. Belgique,
arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I,
pp. 233-234, § 37 ; Fressoz et Roire
c. France précité, § 45).
55. D'une manière générale, la « nécessité »
d'une quelconque restriction à l'exercice de la
liberté d'expression doit se trouver établie de
manière convaincante. Certes, il revient en premier
lieu aux autorités nationales d'évaluer s'il existe
un « besoin social impérieux »
susceptible de justifier cette restriction, exercice
pour lequel elles bénéficient d'une certaine marge
d'appréciation. Lorsqu'il y va de la presse, comme en
l'espèce, le pouvoir d'appréciation national se
heurte à l'intérêt de la société démocratique à
assurer et à maintenir la liberté de la presse. De
même, il convient d'accorder un grand poids à cet
intérêt lorsqu'il s'agit de déterminer, comme l'exige
le paragraphe 2 de l'article 10, si la restriction
était proportionnée au but légitime poursuivi (voir,
mutatis mutandis, Goodwin c. Royaume‑Uni,
précité, pp. 500-501, § 40, et Worm c. Autriche,
arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V,
p. 1551, § 47).
b) Application en l'espèce des principes
susmentionnés
56. Dans la présente affaire, la Cour
estime que les perquisitions au domicile et au bureau
du requérant s'analysent sans conteste en une
atteinte à ses droits garantis au paragraphe 1 de l'article 10.
Le Gouvernement l'admet du reste.
57. Pareille atteinte enfreint l'article
10, sauf si elle est « prévue par la loi »,
dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du
paragraphe 2 et « nécessaire dans une société
démocratique » pour les atteindre.
i) Prévue par la loi
58. La Cour, rappelant qu'il incombe au
premier chef aux autorités nationales d'interpréter
et d'appliquer le droit interne, estime que les
perquisitions étaient bien prévues par la loi, à
savoir par les différentes dispositions du CIC
mentionnées par le Gouvernement (paragraphe 32
ci-dessus). La manière dont ces dispositions ont
été appliquées en l'espèce peut jouer dans l'appréciation
par la Cour du caractère nécessaire de la mesure (Ernst
et autres c. Belgique, précité, § 97).
ii) But légitime
59. De l'avis de la Cour, l'ingérence
poursuivait le « but légitime » que
constituent la défense de l'ordre public et la
prévention des infractions pénales et elle visait
aussi à empêcher la divulgation d'informations
confidentielles ainsi qu'à protéger la réputation
d'autrui.
iii) Nécessaire dans une société démocratique
60. La question prépondérante est celle
de savoir si l'ingérence critiquée était
« nécessaire dans une société démocratique »
pour atteindre pareil but. Il y a donc lieu de
déterminer si l'ingérence correspondait à un besoin
social impérieux, si elle était proportionnée au
but légitime poursuivi et si les motifs fournis par
les autorités nationales pour la justifier sont
pertinents et suffisants.
61. La Cour note que les faits de la cause
comportent des similitudes avec ceux des affaires
Roemen et Schmit c. Luxembourg et Ernst et autres c. Belgique
précitées. Le Gouvernement estime quant à lui que
la présente affaire se distingue des autres par le
comportement du requérant, qui n'aurait pas été un
acteur passif de la fuite des informations
confidentielles mais l'aurait provoquée lui-même en
corrompant l'agent de l'O.L.A.F. La Cour constate que
cet organisme ouvrit une enquête interne tendant à
découvrir l'agent qui avait divulgué ces
informations au requérant et publia un communiqué de
presse dans lequel il informait le public qu'il n'était
pas exclu qu'un paiement pût avoir été effectué à
l'un de ses agents (paragraphes 9 et 12 ci-dessus).
L'O.L.A.F. indiqua même au médiateur européen, dans
le cadre de l'examen de la plainte no 1840/2002 GG
déposée par le requérant contre l'O.L.A.F., que les
soupçons de corruption étaient nés d'informations
émanant de sources crédibles, y compris de membres
du Parlement européen (paragraphe 11 ci-dessus). Dans
sa décision du 30 novembre 2003, le médiateur
européen conclut qu'en formulant des allégations de
corruption sans base factuelle suffisante et
vérifiable, l'O.L.A.F. était allé au-delà de ce
qui était proportionné au but poursuivi par cette
action, ce qui constituait un acte de mauvaise
administration (paragraphe 13 ci-dessus).
62. L'enquête interne n'ayant pas pu
révéler l'identité de l'auteur de la fuite, l'O.L.A.F.
déposa, le 11 février 2004, une plainte contre le
requérant auprès des autorités judiciaires belges,
qui ouvrirent une instruction pour corruption active
et passive de fonctionnaire (paragraphes 14-15
ci-dessus). Le 19 mars 2004, le domicile et le bureau
du requérant furent perquisitionnés (paragraphe 16
ci-dessus).
63. Or, au moment où les perquisitions
litigieuses eurent lieu, il est évident qu'elles
avaient pour but de révéler la provenance des
informations relatées par le requérant dans ses
articles. Dès lors que l'enquête interne à l'O.L.A.F.
n'avait pas produit le résultat escompté et que les
soupçons de corruption pesant sur le requérant
étaient fondés sur de simples rumeurs, comme l'avait
relevé à deux reprises, en 2003 et 2005, l'enquête
du médiateur européen, il n'y avait alors aucun
impératif prépondérant d'intérêt public apte à
justifier de telles mesures.
64. Celles-ci tombaient ainsi, à n'en pas
douter, dans le domaine de la protection des sources
journalistiques. L'absence de résultat apparent des
perquisitions et saisies n'enlève pas à ces
dernières leur objet, à savoir trouver pour le
compte de l'O.L.A.F. le responsable de la divulgation
des informations confidentielles (voir, mutatis
mutandis, Ernst et autres c. Belgique
précité, § 100).
65. La Cour souligne que le droit des
journalistes de taire leurs sources ne saurait être
considéré comme un simple privilège qui leur serait
accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de
l'illicéité des sources, mais un véritable attribut
du droit à l'information, à traiter avec la plus
grande circonspection. Cela vaut encore plus en l'espèce,
où le requérant était soupçonné sur le fondement
de rumeurs vagues et non étayées, ce que vint
confirmer ultérieurement le fait que le requérant ne
fut pas inculpé (paragraphe 27 ci-dessus).
66. La Cour constate aussi l'ampleur de la
saisie opérée par les autorités : seize
caisses de documents, deux boîtes d'archives, deux ordinateurs,
quatre téléphones portables et un meuble métallique.
Aucun inventaire des pièces saisies ne fut dressé.
La police aurait même égaré une caisse complète de
documents, qu'elle n'aurait retrouvée que plus de
sept mois plus tard (paragraphe 16 ci-dessus).
67. La Cour est ainsi d'avis que si les
motifs invoqués par les juridictions nationales
peuvent certes passer pour « pertinents »,
ils ne peuvent être jugés « suffisants »
pour justifier les perquisitions incriminées.
68. Elle conclut que les mesures
litigieuses sont à considérer comme
disproportionnées et, partant, comme ayant violé le
droit du requérant à la liberté d'expression
reconnu par l'article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
69. Le requérant dénonce une violation de
son droit à un procès équitable. Il invoque l'article
6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie
pertinente, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement (...) par un tribunal (...)
qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale dirigée contre elle. »
70. Le requérant soutient qu'il y a eu
rupture de l'égalité des armes tant devant la
chambre des mises en accusation que devant la Cour de
cassation, lesquelles, pour refuser la mainlevée des
saisies litigieuses, auraient jugé la plainte de l'O.L.A.F.
fondée. Il se plaint également de ne pas avoir eu
accès au dossier d'instruction.
71. La Cour rappelle que l'égalité des
armes requiert que chaque partie se voie offrir une
possibilité raisonnable de présenter sa cause dans
des conditions qui ne la placent pas dans une
situation de net désavantage par rapport à ses
adversaires. Tel que le grief a été formulé, elle
n'aperçoit aucun élément susceptible de porter
atteinte à cette égalité. Par ailleurs, d'après
les informations contenues dans le dossier, le
requérant ne fut jamais inculpé et renvoyé en
jugement. A la lumière des éléments soumis, la Cour
n'aperçoit aucune apparence de violation de cette
disposition de la Convention
72. Il s'ensuit que ce grief doit être
rejeté comme manifestement mal fondé, en application
de l'article 35 §§ 3 et 4 de la
Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE
LA CONVENTION
73. Aux termes de l'article 41 de la
Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de
la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation,
la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu,
une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
74. Le requérant soutient qu'il a subi un
dommage qui ne consisterait pas seulement dans la
privation des documents de travail et supports d'information
ayant été emportés par les autorités de police
mais également dans la perte de crédit qu'il aurait
subie tant auprès du public qu'auprès des personnes
susceptibles de fournir des informations au
journaliste qu'il est. La confiance dans sa capacité
à protéger l'anonymat de ses sources, élément
vital de la profession de journaliste, aurait été
irrévocablement ébranlée. Il en résulterait que le
requérant n'est plus en mesure de couvrir les travaux
de la Commission européenne comme auparavant, ses
sources potentielles d'information n'ayant plus
confiance en sa capacité à maintenir la
confidentialité de leur identité. En outre, les
perquisitions opérées à son domicile et sur son
lieu de travail auraient porté atteinte à son
honorabilité. Enfin, il serait incapable de
poursuivre son travail dans des conditions décentes,
près de mille pages de documents utiles à ses
travaux ayant été saisies.
Il réclame ex aequo et bono 25 000 euros (EUR) au
titre du préjudice moral qu'il aurait ainsi subi.
75. A titre principal, le Gouvernement
soutient que si la Cour devait estimer qu'une
violation peut être imputée à l'Etat belge, il
incomberait au requérant d'établir son dommage
devant le juge national. Il découlerait en effet de
la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'en
vertu des principes régissant la réparation du
dommage découlant d'une faute extracontractuelle du
législateur, la faute commise par l'Etat doit être
réparée. A titre subsidiaire, le Gouvernement
souligne que le requérant n'avance pas de preuves
propres à étayer ses thèses.
76. La Cour ne doute pas que, dans les
circonstances de la cause, les perquisitions et
saisies effectuées au domicile et au bureau du
requérant aient provoqué chez lui angoisse et
désarroi. Statuant en équité, comme le veut l'article
41, elle lui alloue une somme de 10 000 EUR
pour dommage moral.
B. Frais et dépens
77. Le requérant affirme que les frais et
honoraires de ses conseils afférents à la défense
de ses intérêts s'élèvent à la somme de
116 422,43 EUR, étant entendu que les
prestations réellement effectuées par ses conseils
dépasseraient largement ce montant. Son employeur
aurait accepté d'avancer cette somme. Il considère
que la moitié des prestations effectuées se rapporte
à la défense de ses intérêts devant les
juridictions belges et devant la Cour. Il sollicite
une somme forfaitaire de 50 000 EUR.
78. Le Gouvernement estime que le
requérant n'explique pas suffisamment en détail
comment il arrive à ce montant précis.
79. La Cour rappelle que l'allocation des
frais et dépens au titre de l'article 41
présuppose que se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et, de plus, le caractère
raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce
(satisfaction équitable)[GC], no 31107/96, § 54,
CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont
recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent
à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas,
arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, §
66).
80. La Cour note que le requérant a
déposé à la Cour trois factures (d'un montant total
de 98 864,66 EUR) relatives à des actes
accomplis par ses conseils en 2004 et pour la défense
de ses intérêts devant les autorités belges. La
Cour ne doute pas que ces actes visaient
essentiellement à réparer les violations de la
Convention alléguées devant la Cour. Elle prend acte,
en outre, de la déclaration du requérant selon
laquelle une grande partie au moins des honoraires de
ses avocats a été avancée par le magazine Stern.
81. Compte tenu des circonstances de la
cause, et statuant en équité comme le veut l'article
41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d'allouer
un montant de 30 000 EUR, augmenté de la TVA,
pour l'ensemble des frais exposés en Belgique et à
Strasbourg.
C. Intérêts moratoires
82. La Cour juge approprié de baser le
taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque
centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au
grief tiré de l'article 10 de la Convention et
irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article
10 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l'Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où
l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2
de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour
dommage moral et 30 000 EUR (trente mille euros)
pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être
dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit
délai et jusqu'au versement, ces montants seront à
majorer d'un intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de la Banque
centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 27 novembre 2007 en application de l'article
77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président
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